Dans les années 1980, au plus fort de l’épidémie de sida, il servait à combattre les nausées, la cachexie et l’anorexie. De nos jours, on l’utilise pour soulager l’anxiété et la dépression et à des fins récréatives. Nous parlons ici du cannabis, à propos duquel les chercheurs se demandent à présent si, par ses propriétés médicinales, il ne pourrait pas contribuer à prévenir ou à ralentir les manifestions inflammatoires des maladies liées au VIH.
Voilà l’enjeu auquel s’attaquent les Drs Cecilia Costiniuk et Ali Jenabian, investigateurs du Réseau, dans l’analyse éditoriale approfondie qu’ils ont signée pour un récent numéro de la revue AIDS à propos de la recherche sur le cannabis, le VIH et l’inflammation.
Les Drs Costiniuk et Jenabian ont fait le point sur les propriétés pharmacologiques des cannabinoïdes, soit le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD), les deux substances chimiques dotées de propriétés médicinales les plus connues que l’on retrouve dans le cannabis. Ils ont aussi étudié les diverses façons dont ces cannabinoïdes peuvent être utiles aux personnes vivant avec le VIH.
« Le corps humain abrite un peu partout des récepteurs de cannabinoïdes, y compris au niveau du tractus digestif, et il produit aussi des cannabinoïdes naturels. Ces derniers sont à l’origine des sensations euphoriques ressenties par les coureurs », rappelle la Dre Costiniuk. « Alors qu’on connaît bien les effets psychoactifs du THC, le THC et le CBD exercent tous les deux des effets sur la fonction immunitaire et l’inflammation systémique », explique le Dr Jenabian.
Ce sont ces propriétés anti-inflammatoires et immunomodulatrices potentielles qui rendent le cannabis particulièrement intéressant pour la recherche sur le VIH.
« L’inflammation systémique et l’activation immunitaire chroniques, même chez ceux qui obtiennent une suppression complète avec leur TAR, peut donner lieu à des taux plus élevés de certaines maladies chroniques, comme la maladie cardiaque », poursuit la Dre Costiniuk.
Cette inflammation persistante découle de l’effet physique du VIH sur la santé intestinale durant les premiers stades de l’infection. Au bout du compte, la perte de lymphocytes CD4 au niveau intestinal fait en sorte que des microbes intestinaux fuient et se répandent dans l’organisme, où ils contribuent à la dysfonction immunitaire et à l’inflammation.
Selon des études, le CBD et le THC sont tous deux dotés de propriétés anti-inflammatoires qui pourraient tempérer cet état inflammatoire persistant. Des recherches montrent en outre que ces cannabinoïdes pourraient aider l’organisme à corriger l’atteinte intestinale, ce qui réduirait l’inflammation liée au VIH à sa source.
« La capacité de ralentir la réplication du VIH pourrait jouer un rôle très important dans la réduction des réservoirs viraux, et faire avancer la recherche sur un traitement définitif », ajoute le Dr Jenabian.
Les chercheurs rappellent qu’il ne faut pas encore se précipiter chez votre fournisseur. Il reste encore beaucoup à faire.
« Ce qu’il est important de retenir quand on se renseigne à ce sujet, c’est qu’une bonne part de la recherche a été effectuée sur des animaux, et que les résultats sont rarement les mêmes chez l’être humain », expliquent-ils. « Les résultats chez l’être humain sont plus complexes à interpréter que ceux des modèles animaux ».
Cela s’explique en partie par les différences physiques (physiologie et métabolisme), mais aussi par les doses utilisées expérimentalement chez les animaux par rapport à leur poids corporel, qui sont beaucoup plus élevées que chez l’humain.
D’autre part, les études menée chez l’être humain, ont été de courte durée et à petite échelle, et aucune n’a examiné les marqueurs de l’inflammation ou les réservoirs du VIH.
Les Drs Costiniuk et Jenabian sont à la tête d’une étude pilote du Réseau (l’étude clinique CTNPT 028), qui testera la tolérabilité et l’innocuité de deux rapports différents de THC et de CBD dans une capsule orale administrée sur une période de trois mois. Les chercheurs mesureront des éléments comme la qualité de vie, ainsi que les marqueurs de l’inflammation et de la taille des réservoirs de VIH. L’information recueillie lors de cette étude servira à concevoir et à déployer un essai clinique de plus grande envergure qui s’attardera plus précisément à la fonction immunitaire et les réservoirs viraux.
Les Drs Costiniuk et Jenabian dirigent aussi le Groupe de travail sur le cannabis du Réseau, avec le président du Comité consultatif auprès de la communauté, Enrico Mandarino. La première réunion de ce groupe de travail a eu lieu à Montréal le 17 octobre 2018, date d’entrée en vigueur de la légalisation du cannabis au Canada. À ce jour, le groupe de travail a participé à la rédaction de deux demandes de subvention, à plusieurs publications en collaboration, et ses membres ont coprésidé le « Symposium inaugural sur le cannabis et les personnes vivant avec le VIH : à la croisée entre la neuropsychologie et l’inflammation », subventionné par les IRSC, qui s’est déroulé à Montréal en avril 2018. Restez à l’écoute pour être au courant des prochains développements!