La mise au point de vaccins à ARNm offre aux chercheurs un tout nouvel outil pour lutter contre le VIH.
Une nouvelle frontière de la technologie médicale
Lorsque l’épidémie de la COVID-19 (causée par le virus SRAS-CoV-2) a commencé à s’approcher du statut de pandémie, il était clair que la science devait trouver une solution efficace, efficiente et rapide pour la combattre. C’était le moment pour l’ARNm d’apparaître! Mais cette attention accrue portée à l’ARNm pourrait-elle signifier qu’il pourrait bientôt être utilisé pour d’autres maladies comme le VIH.
L’ARNm est un simple brin de matériel génétique utilisé pour transférer l’information génétique de l’ADN, protégé à l’intérieur du noyau cellulaire, à la machinerie de construction des protéines de la cellule, appelée ribosomes.
Depuis sa découverte en 1964, l’ARNm a été étudié par les scientifiques pour mieux comprendre le fonctionnement des cellules. Dans les années 1980, les scientifiques ont découvert comment construire des molécules d’ARNm en laboratoire. Il était alors possible d’envisager l’utilisation de l’ARNm comme traitement médical. Les premiers vaccins à ARNm dans les années 1990 étaient destinés à la grippe. Le tout premier traitement par ARNm, pour une forme rare de cécité, a été approuvé en 2017. Bien que l’utilisation de la technologie de l’ARNm comme option de traitement ne soit que récente, la molécule d’ARNm elle-même est étudiée depuis des décennies. C’est un composé peu coûteux, d’origine naturelle, facilement modifiable et qui peut être fabriqué rapidement.
L’utilisation de l’ARNm pour combattre un virus commence par la compréhension de la signature génétique du virus. Cela se fait grâce au séquençage de l’ADN, qui indique aux scientifiques comment le matériel génétique du virus est disposé. Déterminer le code génétique de la COVID-19 nous aide à comprendre de quoi elle est faite et comment elle fonctionne. Le séquençage de l’ADN de la COVID-19 a révélé que les protéines de spicule, molécules qui dépassent des virus pour leur permettre d’infecter d’autres cellules, pourraient constituer une cible potentielle pour le système immunitaire et les vaccins à ARNm. Les scientifiques ont également découvert que les protéines de spicule de la COVID-19 sont similaires à celles du VIH. En fait, la COVID-19 et le VIH partagent plusieurs similitudes. Cela signifie que les connaissances acquises en comprenant et en combattant la COVID-19 pourraient potentiellement être appliquées à la lutte contre le VIH. Tout commence là où la vie commence, au niveau génétique.
Vaccins et ARNm
L’ADN est notre modèle génétique. Il donne des instructions à nos cellules pour produire les protéines qui permettent à notre corps de remplir les fonctions nécessaires à la vie. Toutes les cellules du corps humain partagent le même ADN, mais ont des fonctions différentes en fonction des protéines qu’elles fabriquent. Par exemple, les cellules de la peau fabriquent la kératine, la protéine des cheveux, et les cellules bêta du pancréas fabriquent l’insuline. Ces deux cellules ont le même ADN, mais il ne serait pas logique que les cellules bêta fassent pousser les cheveux ou que la peau produise de l’insuline. Ces cellules savent quelles protéines elles doivent fabriquer grâce à l’ARNm. L’ARNm est une molécule messagère qui transfère des instructions spécifiques de l’ADN, stockées en toute sécurité dans le noyau cellulaire, à la zone de construction des protéines de la cellule. Sans interagir avec votre ADN, les vaccins à ARNm utilisent cette machinerie de messagerie cellulaire pour demander à vos propres cellules de fabriquer les protéines du virus afin qu’elles puissent être présentées au système immunitaire de votre organisme. Votre système immunitaire produit alors des anticorps contre ces protéines, qui peuvent détecter et détruire les protéines virales similaires, appelées antigènes, qu’ils rencontreront à l’avenir. Il est possible que nous puissions le faire pour les ARNm des protéines du VIH.
« C’est comme essayer de trouver le talon d’Achille du virus HIV »
Le Dr Mario Ostrowski, chercheur du Réseau, est un expert sur la manière dont le VIH désarme le système immunitaire. Son objectif ultime est de trouver un remède au virus. Selon lui, l’une des principales raisons pour lesquelles les technologies vaccinales modernes n’ont pas fonctionné pour le VIH est la variabilité unique du virus.
« Le VIH est un virus très diversifié. Comme il mute très rapidement, chaque personne vivant avec le VIH a un virus qui lui est propre. Son code génétique est en constante évolution », a-t-il déclaré.
Le VIH mute des milliers de fois plus vite que le virus de la COVID-19, le SRAS-CoV-2. « Avec un taux de mutation aussi élevé, nous devons trouver des idées vraiment nouvelles », a déclaré le Dr Ostrowski. « De nombreux travaux sont en cours pour comprendre comment fabriquer un anticorps général contre le VIH de manière à ce qu’il puisse reconnaître n’importe quelle souche du VIH, quel que soit son degré de mutation. C’est actuellement un énorme obstacle au développement d’un vaccin contre le VIH. »
Comme le système immunitaire détecte les antigènes qui se trouvent à la surface des particules indésirables, les protéines de spicule qui dépassent des virus sont leur cible commune. « Le VIH possède des protéines de spicule similaires à celles du SRAS-CoV-2, mais les mutations de ces protéines pour le VIH sont encore plus variables », a expliqué le Dr Ostrowski. Bien que les mutations se produisent au hasard, comme les virus sont constitués de moins de pièces que les autres êtres vivants, la probabilité que des mutations aléatoires affectent les protéines de spicule est élevée. Des changements aléatoires au sein de la protéine de spicule peuvent avoir un impact sur la manière dont les virus sont reconnus par le système immunitaire, et par les vaccins conçus pour soutenir le système immunitaire.
Tant que les mutations n’ont pas d’incidence sur leur cycle de vie, les virus peuvent persister tout en échappant au système immunitaire. Il est très difficile de mettre au point un vaccin qui couvre toutes les variations des virus présents. « Par exemple, la souche Omicron du virus de la COVID-19 présentait 50 mutations par rapport à la souche originale », a déclaré le Dr Ostrowski. « Ces mutations de la protéine de spicule n’ont mis que quelques années à se développer, mais elles ont permis de contourner les effets préventifs des premiers vaccins contre la COVID-19 ».
Le Dr Ostrowski a déclaré que, chez une personne vivant avec le VIH, il peut y avoir plusieurs mutations du VIH dans son organisme. « C’est le problème avec le VIH, il fait un bon travail de mutation, donc l’objectif actuel est de trouver une cible de protéine de spicule du VIH qui ne peut pas muter », a-t-il déclaré. « C’est comme essayer de trouver le talon d’Achille du virus VIH. Une fois que nous savons que notre cible ne peut pas changer, nous pouvons concevoir des anticorps spécifiques qui pourraient être utilisés dans un vaccin à ARNm. »
En apprendre du traitement du cancer
Une autre approche de la lutte contre le VIH pourrait consister à utiliser la technologie à ARNm pour fournir un traitement adapté à chaque individu, plutôt que de chercher un talon d’Achille universel du virus lui-même. Cela est possible car il ne faut actuellement que quelques semaines pour fabriquer un vaccin à ARNm. La mise au point et l’essai de vaccins sans ARNm peuvent prendre des années.
À l’origine, la recherche sur les vaccins à ARNm était axée sur le traitement des cancers avancés. « La beauté de cette stratégie est que lorsqu’une personne développe un cancer, elle peut également développer une réponse immunitaire au cancer », a déclaré le Dr Ostrowski. « Parce que le cancer de chacun est unique, la réponse immunitaire de chacun à son cancer est unique. »
La technologie génétique a permis aux scientifiques de lire et de comprendre la séquence génétique du cancer unique d’une personne et de vérifier quelle partie pourrait stimuler une réponse immunitaire. Ces parties étrangères du cancer agissent comme des antigènes. Une fois isolés, ces antigènes peuvent alors être présentés au système immunitaire à l’aide de vaccins à ARNm, permettant au système immunitaire de cibler le cancer. L’objectif des vaccins ARNm anticancéreux est de porter le plan de ces antigènes cancéreux et de voir s’ils peuvent produire une réponse immunitaire ciblée contre ce cancer. Le Dr Ostrowski explique : « Le vaccin renforcerait essentiellement le système immunitaire du patient et l’aiderait à combattre le cancer. C’est ce qu’on appelle l’immunothérapie du cancer et c’est un vaccin thérapeutique par opposition à un vaccin préventif, ce qui est le but du vaccin contre la COVID-19. »
En théorie, un vaccin thérapeutique à ARNm destiné à renforcer le système immunitaire d’une personne pourrait être utilisé comme option thérapeutique pour les personnes vivant avec le VIH. En revanche, un vaccin préventif à ARNm contre le VIH serait conçu spécifiquement pour entraver la capacité du VIH à infecter initialement une personne.
La technologie à ARNm peut-elle traiter le VIH?
La communauté des chercheurs s’intéresse à l’application de ces principes pour un vaccin thérapeutique personnalisé contre le VIH. Cela est possible parce que les mutations qui se produisent au sein du virus VIH ralentissent lorsqu’une personne suit un traitement antirétroviral (TAR). Le traitement antirétroviral empêche le VIH de se copier lui-même, ce qui réduit considérablement les possibilités d’apparition de nouvelles mutations.
« Il serait adapté à l’individu », a déclaré le Dr Ostrowski. « Ainsi, un vaccin thérapeutique contre le VIH aiderait une personne à éradiquer complètement le virus et l’infection. Il faudrait pour cela obtenir la séquence génétique du VIH de chaque personne et développer un vaccin ARNm personnalisé pour cette personne. »
À l’heure actuelle, on ignore si les vaccins ARNm personnalisés contre le VIH fonctionneraient au niveau de la population, mais le potentiel théorique existe. Si un talon d’Achille universel est trouvé, alors cette technologie ARNm pourrait s’appliquer à une plus grande population. Il existe des personnes vivant avec le VIH, connues sous le nom de contrôleurs d’élite une sous-population des non progresseurs à long terme qui n’ont pas besoin de médicaments pour rester sous contrôle viral. Leur capacité à supprimer naturellement le virus est parfois due à des caractéristiques génétiques qui favorisent une réponse immunitaire spécifique au VIH contre l’infection. L’objectif des vaccins ARNm personnalisés est de produire un type similaire de forte réponse immunitaire chez toutes les personnes vivant avec le VIH, et pas seulement chez les patients non progresseurs à long terme.
« Je pense que les technologies à ARNm seront utiles » explique le Dr Ostrowski. « On ne sait toujours pas si elles réussiront complètement, surtout en ce qui concerne la prévention du VIH. Elles pourraient être plus utiles en immunothérapie chez les personnes qui vivent déjà avec le VIH, afin de voir si nous pouvons stimuler davantage leurs propre systèmes immunitaires pour qu’il se débarrasse des variantes persistantes du VIH. »
Le laboratoire du Dr Ostrowski réalise actuellement des études de faisabilité pour vérifier s’il est possible d’apporter la technologie de l’ARNm aux personnes vivant avec le VIH pour les aider à éradiquer et à contrôler leur virus en utilisant leur propre système immunitaire.